Vous êtes impliqué dans un procès prud’homal et vous disposez d’une preuve qui pourrait appuyer votre défense ? Pourtant, le doute vous guette et vous n’êtes pas sûr(e) de pouvoir soumettre cette preuve dans le cadre de votre contentieux ? Le droit du travail a démontré sa rigidité en la matière depuis au moins trois décennies… mais une certaine flexibilité de la part des juges sera désormais de mise ! Le droit à la preuve, c’est la possibilité donnée aux parties à un procès de présenter leurs preuves. Si jusqu’à présent, cette prérogative était strictement appréciée à travers le prisme de principes éthiques, des décisions rendues par la Cour de cassation en 2023 viennent dorénavant marquer un véritable mouvement de libéralisation de la preuve en matière sociale. Faisons le point sur ce revirement jurisprudentiel.
Quels sont les changements majeurs du droit de la preuve en droit du travail ?
Le droit à la preuve : une garantie judiciaire encadrée
On a coutume de dire en matière prud’homale que la preuve est libre. Les parties au litige (employeur comme salarié) peuvent donc rapporter la preuve de leurs arguments par tous moyens.
Cependant,la Cour de cassation est rapidement venue encadrer ce droit à la preuve en le mettant notamment en balance avec le respect de l’ordre public ou des droits d’autrui (respect de la vie privée, le secret des correspondances, etc.).
Comprendre les évolutions actuelles en matière de liberté de la preuve nécessite en premier lieu une rétrospective juridique sur les décisions de la Cour de cassation.
Jurisprudence française
Dans les années 90, les juges affirment clairement les limites de la liberté de la preuve : il est impossible pour les parties de fournir des preuves obtenues de manière illicite ou déloyale. (Cass, Soc. 20 novembre 1991, n° 88-43. 120)
Une preuve illicite est celle qui est issue d’un dispositif illicite (exemple : un enregistrement issu d’un système de vidéosurveillance non-déclaré).
Une preuve obtenue de manière déloyale est :
- celle qui est recueillie à l’insu de la personne contre laquelle elle est produite (enregistrement d’une conversation téléphonique par exemple) ;
- ou celle obtenue au moyen d’un stratagème (la pratique du client mystère par exemple).
Jusque très récemment, les juges devaient écarter des débats les preuves déloyales produites par les parties. Ils devaient en effet faire application du principe jurisprudentiel dégagé en 2011 par l’Assemblée plénière de la Cour de cassation selon lequel la preuve déloyale est irrecevable sans que le juge n’ait à opérer un contrôle de proportionnalité.. (Cass. ass. plén., 7 janvier 2011, n° 09-14.316 et 09-14.667)
Depuis ces deux arrêts, le principe de loyauté de la preuve est considéré comme un principe général du droit : même si cette règle ne figure pas dans le Code civil ou de procédure civile, elle s’applique.
Concrètement, si le droit à la preuve est aussi limité, c’est parce qu’il peut entrer en conflit avec d’autres droits et libertés comme le droit au respect de la vie privée du salarié.
Jurisprudence européenne
Cette rigidité autour du droit à la preuve va s’estomper avec l’initiative de la Cour européenne des droits de l’homme (CEDH) qui, petit à petit à compter de 1993, va considérer la preuve comme une composante du droit à un procès équitable..
Contrairement à la jurisprudence française, la CEDH n’a jamais consacré un principe de loyauté probatoire. Elle applique cependant le principe de proportionnalité et impose donc au juge d’apprécier le caractère équitable de la procédure dans son ensemble.
C’est ainsi qu’en 2019, elle va affirmer que des éléments de preuve, même illicites, peuvent être admis, dès lors que la procédure dans son ensemble, conserve un caractère équitable. (CEDH, 17 octobre 2019, Lopez Ribalda c/Espagne, n° 1874/13 et 8567/13).
Face à une telle application, le juge français n’avait pas d’autre choix que de faire évoluer sa jurisprudence.
Le droit de la preuve en 2023 : une mise à jour jurisprudentielle incontournable
Récemment, l’Assemblée plénière de la Cour de cassation a eu l’occasion de répondre aux interrogations concernant l’admission de preuves obtenues de manière déloyale à travers une décision rendue par l’Assemblée plénière (Cass. ass. plén., 22 déc. 2023, n° 20-20.648).
Les éléments de preuve examinés par les juges d’appel étaient 2 conversations téléphoniques enregistrées par l’employeur à l’insu du salarié (un entretien informel de convocation à entretien préalable avec mise à pied et l’entretien préalable à licenciement).
Ces enregistrements montraient que le salarié avait expressément refusé de fournir à son employeur le suivi de son activité commerciale, appuyant le motif du licenciement et la demande de réparation de l’employeur de son préjudice commercial à hauteur de 300 000 euros.
La Cour d’appel d’Orléans avait écarté ces enregistrements au motif qu’ils résultaient d’un procédé déloyal et devaient donc être écartés des débats.
L’Assemblée plénière n’est pas du même avis :“il y a lieu de considérer désormais que, dans un procès civil, l’illicéité ou la déloyauté dans l’obtention ou la production d’un moyen de preuve ne conduit pas nécessairement à l’écarter des débats.”
Dans un litige prud’homal, il est dorénavant admis qu’une partie puisse utiliser, sous certaines conditions strictes, une preuve obtenue de manière déloyale pour faire valoir ses droits.
Quelles sont les nouvelles limites de l’application du droit de la preuve ?
La jurisprudence de 2023 a admis la preuve déloyale tout en définissant ses limites.
Désormais, une partie à un procès peut présenter une preuve déloyale lorsque celle-ci réunit deux conditions :
- elle doit être indispensable à l’exercice des droits du justiciable ;
- elle ne doit pas porter une atteinte disproportionnée aux droits fondamentaux de la partie adverse.
Ainsi, si le droit à la preuve est souvent mis en balance avec le droit à la vie privée, l’atteinte peut être permise lorsqu’elle constitue la seule solution offerte à l’employeur pour faire valoir ses droits.
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